Jean Perdijon (Grenoble)

Son esprit s'échappa vers le labyrinthe de la double pensée. Connaître et ne pas connaître. En pleine conscience et avec une absolue bonne foi, émettre des mensonges soigneusement agencés. Retenir simultanément deux opinions qui s'annulent alors qu'on les sait contradictoires et croire à toutes deux. Employer la logique contre la logique.

George Orwell (1984)

Expérience à photon unique


Dans les expériences dites "à photon unique", on utilise une source dont la lumière est suffisamment atténuée pour qu'il n'y ait pas plus d'un photon présent dans le dispositif de mesure à un instant donné. On a surtout employé des tubes à décharge, mais on préfère maintenant les cascades atomiques.
Une première question est de savoir si un photon peut se couper en deux. Les expériences pour y répondre sont assez rares et récentes, car elles nécessitent une électronique rapide. Le séparateur est une lame semi-réfléchissante  et les détecteurs sont des photomultiplicateurs PM, placés dans chacune des deux voies du séparateur L (voir haut de la figure). Une nette anticorrélation a été observée entre les voies et toutes les expériences ont répondu "non" à la question posée.
Une seconde question est de savoir si un photon peut interférer avec lui-même. De très nombreuses expériences ont par contre été montées et la première date de 1909 : Taylor enregistra sur une plaque photographique la figure de diffraction de la pointe d'une aiguille, qui était éclairée par une flamme à travers une fente très étroite et des verres fumés. Depuis, on préfère utiliser un interféromètre, dont les franges sont enregistrées par un convertisseur d'image ou un photomultiplicateur (voir bas de la figure), et presque toute les expériences ont répondu "oui" à la question posée.
L'expérience réalisée par l'équipe d'Aspect, qui regroupe les deux questions dans un même dispositif, est particulièrement significative. Les résultats de ces deux séries d'expérience peuvent être schématisées avec des fentes d'Young (voir droite de la figure) : quand celles-ci sont utilisées comme séparateur, il y a anticorrélation entre les deux branches ; quand elles servent d'interféromètre, on obtient des interférences. Le photon apparaît donc comme un corpuscule ou comme une onde selon le dispositif qui est utilisé pour le détecter, ce qui est devenu un principe quantique promu par Bohr en 1927 : il faut utiliser deux descriptions - mutuellement exclusives et conjointement nécessaires - pour décrire les propriétés d'une particule à l'aide de concepts classiques. Dans la "novlangue" de Copenhague, le phénomène est connu sous le nom de complémentarité.


Une interprétation relativiste


Les corpuscules sont localisés - on peut les compter -, ils se déplacent selon des trajectoires qui peuvent les amener à se choquer - ils sont impénétrables. Au contraire les ondes s'étendent dans tout l'espace disponible et se laissent traverser - elles  peuvent se superposer.

Plutôt que d'accepter que le photon possède à la fois deux états absolument contradictoires, on peut penser que cette complémentarité n'est que le résultat d'une alternance des propriétés ondulatoires et corpusculaires de la lumière : les deux états possédant ces propriétés se succéderaient à une cadence si rapide que nos mesures (qui ne fournissent que des valeurs moyennes) seraient seulement capables d'enregistrer un état ou l'autre, suivant le dispositif utilisé. L'état "onde" correspondrait à un faisceau large et peu dense, qui aurait une forte probabilité de passer par les deux voies et de produire une interférence (voir haut de la figure). Alors que l'état "corpuscule" correspondrait à un pinceau très étroit qui, lorsque par chance il pénètre dans une voie, aurait une densité énergétique suffisante pour déclencher le photomultiplicateur situé en face (voir bas de la figure).

Or un tel rayonnement à géométrie variable est précisément celui produit par un électron qui est accéléré jusqu'à une vitesse relativiste, avant d'être brutalement freiné. La principale source de rayonnement électromagnétique est en effet constitué par l'accélération d'une charge. Tant que sa vitesse est bien inférieure à celle de la lumière, un électron émet selon deux lobes de large ouverture, situés symétriquement de part et d'autre de sa trajectoire ; par contre, lorsque son mouvement devient relativiste, l'ouverture des lobes diminue considérablement pour former, comme dans le cas du rayonnement synchrotron, deux pinceaux intenses qui sont pratiquement orientés suivant le vecteur vitesse. Et les sources utilisées dans les expériences précédentes peuvent être considérées comme constituées d'un grand nombre d'électrons qui sont ainsi excités de façon aléatoire.

 

Référence : J. Perdijon, "Le quantique : un paradoxe de la relativité ?", Désiris, 2014.